Nelson Mandela : un homme, une image

Clara Wright
17 Aout 2013


À l’Hôtel de Ville de Paris, l’exposition « De prisonnier à président » rendait hommage au grand Nelson Mandela. Aujourd'hui âgé de 95 ans, la santé fragile de ce dernier inquiète, son affaiblissement bousculant l'image forte et stabilisatrice de « Madiba » autour de laquelle s'est unie l'Afrique du Sud post apartheid. Retour sur la construction de cette image.


Tableaux de Reshada Crouse / Crédit Photo – Clara Wright | Le Journal International
Juste avant la libération de Nelson Mandela, l’artiste Reshada Crouse est chargée par la télévision américaine CBS de peindre le portrait de ce dernier pour un documentaire », nous apprend l’exposition de l’Hôtel de Ville de Paris, intitulée « De prisonnier à président » et rendant hommage à Mandela. Tâche fastidieuse lorsqu’on sait qu’à l’époque, la dernière photo publiée de Mandela datait d’avant son emprisonnement. C’est pourtant à partir de ce cliché que l’artiste peignit quatre tableaux successifs de Mandela, chacun vieillissant les traits de ce dernier de quelques années. Le résultat fut réussi : avant la libération de Mandela, la communauté internationale put donner un visage à la lutte anti-apartheid.

Alors que Mandela a fêté ses 95 ans à l’hôpital de Pretoria le 18 juillet dernier, son état de santé actuel affaibli pose à son tour la question de la représentation de « l’icône Madiba » en Afrique du Sud et à l’international. Ce souci de l’image véhiculée - ou à véhiculer - semble altérer le souci de vérité et les informations sur son hospitalisation sont imprécises. C’est que, devant la possibilité du décès de ce géant de la paix, n’apparaît pas encore de ligne directrice pour gérer l’héritage moral qui lui survivra. Le choix même du lieu de l’éventuel enterrement déchire la famille Mandela et revêt une résonance politique, car Nelson Mandela est devenu un homme public. L’exposition de l’Hôtel de Ville éclaire deux tendances : l’image que Mandela s’est efforcée de construire passant du statut « de prisonnier à président » et la réception de cette image dans le monde.

La construction de « Mandela » par Mandela

L’exposition se développe en six parties, chacune voulait représenter un pan de la personnalité de Mandela : « caractère », « camarade », « leader », « prisonnier », « négociateur » et enfin, « homme d’État ». Le tout pour tenter de comprendre et d'expliquer l'évolution de Mandela à la lumière de ses origines et de ses rencontres. Comprendre comment il se détourna de la vie calme d'avocat pour se lancer dans une lutte vitale pour son pays, au nom de l'égalité et de la liberté.

Néanmoins, si Mandela a, comme tout homme, été influencé par son passé et son parcours, le sentiment que l’on a affaire à un homme ayant un jour choisi de bousculer l’ordre, un homme non pas destiné à devenir une icône, mais qui a décidé d’incarner la lutte en se proclamant leader, prévaut. C’est d’ailleurs lui qui annonça lors de son premier entretien télévisé à la TTN que l’ANC pourrait engager une lutte armée alors que la majorité de ses membres était contre la violence. Plus tard, Mandela parcourut l’Afrique pour trouver du soutien auprès des autres leaders africains. L’objectif : lever une armée de libération. Durant ce voyage, il apprit des conseils des chefs de la révolution algérienne. Clandestin dix-sept mois, il entretint également une atmosphère d’attente mystérieuse autour de ses actions, « surgissant dans les bureaux des rédacteurs en chef », « appelant de cabines publiques les journaux » comme le précise l’exposition. Dans cet art de l’intervention, chaque détail comptait ; comme l’habillement qui devint politique, en costume jusqu’à son incarcération, il opta cependant pour la tenue traditionnelle xhosa lorsqu’il fallut « éviter de perdre le soutien des rivaux africanistes ». En 1961, il fit sa dernière apparition publique pour s’élever contre les électeurs blancs qui souhaitaient se retirer du Commonwealth, adopter une République, mais conserver le système racial de l'apartheid. Lors du procès de Rivonia, où il risquait la peine de mort, il se proclama martyr. Du banc des accusés, il déclara : « j’ai consacré toute ma vie à la lutte du peuple africain. J’ai lutté contre la domination blanche et j’ai lutté contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dont tous les membres pourraient vivre ensemble en harmonie et avec les mêmes chances. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère voir se réaliser. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».

Comprendre

Lire le recueil Conversations avec moi-même, composé des lettres de Mandela lors de son emprisonnement, mais aussi des entretiens qu’il eut avec Richard Stengel et Ahmed Kathrada lors de l’écriture de son autobiographie éclaire considérablement sur le procédé de construction de l’icône politique « Mandela ». Notamment lorsqu’on réalise que chaque épisode de son autobiographie a été lu et corrigé par de multiples interlocuteurs… Améliorations nécessaires puisque raconter la vie de Mandela, c’est aussi offrir à ses concitoyens un prémisse d'incipit pour la nouvelle Afrique du Sud.

Nelson Mandela, alors président de l’Afrique du Sud, félicite les Springboks lors de leur victoire contre la Nouvelle-Zélande en 1995. L’équipe de rugby nationale fut longtemps considérée comme un symbole de l’apartheid. / Crédit Photo – Clara Wright | Le Journal International
Une telle construction ne jette en aucun cas le discrédit sur la noblesse et la sincérité de la lutte de Mandela. Au contraire. La réaliser relativise cependant l’image presque niaise d’un Mandela « peace and love »… Mais pas celle d’un homme politique profondément pacifiste. En effet, si Mandela a engagé la lutte armée contre le régime de l’apartheid en place, la partie la plus admirable de son oeuvre reste son combat pour l’établissement d’un pouvoir démocratique et d'une société non-raciale pour tous les Sud-africains. À l’image de la commission Vérité et Réconciliation, dont il est le créateur, et dont les audiences publiques se déroulèrent sur deux ans, entre 1996 et 1998. Sur 22 000 témoignages de victimes de l’apartheid, la commission reçut 7 100 demandes d’amnistie et en accorda 1 146. À l’image aussi de ses visites rendues au domicile de la veuve de d’Hendrik Verwoerd, désigné comme « l’architecte de l’apartheid » ou encore au domicile de Pieter Botha, l’ancien président.

Sur les pas de « Mandela »

Dans les Midlands du KwaZulu-Natal, cinquante poteaux d’acier se juxtaposent. Si l’on se tient face à la sculpture, l’on aperçoit le profil de Nelson Mandela se dessiner. En se rapprochant, l’image disparaît et les poteaux semblent de nouveau appartenir au décor naturel. C’est là l’oeuvre de Marco Cianfanelli, dressée à l’emplacement même où, le 5 août 1962, Nelson Mandela fut arrêté - et dont nous observons une reproduction à l’exposition. Hautement symbolique puisque, selon l’artiste, « l’incarcération de Mandela cimente son statut de symbole de la lutte, qui à son tour permet de stimuler le mouvement de résistance, amenant le changement politique et la démocratie ». Pourtant, à l’époque, ni le Times de Londres ni le New York Times n’avaient jugé important de relater le procès de Rivonia - en période de guerre froide, Mandela était considéré comme communiste.

Reproduction de l’œuvre de Marco Cianfanelli / Crédit Photo – Clara Wright | Le Journal International
La même logique à Robben Island où Nelson Mandela – et des milliers de prisonniers politiques - fut incarcéré : le site est aujourd’hui classé au patrimoine mondial et accueille de nombreux visiteurs. Ou bien à Orlando West, à Soweto, où l’on peut découvrir la première maison familiale de Mandela. Celle-ci, transformée en musée, rappelle les souffrances endurées par les proches de Mandela du fait de son absence et des persécutions quotidiennes des autorités à leur égard.

Presque un pèlerinage donc, voire un chemin de croix. L'exposition participe d’ailleurs à ce pathos général en reproduisant à l'identique la cellule de Robben Island où Mandela fut emprisonné pendant 18 ans. Mais vivre Mandela, ce n’est pas que se souvenir. C’est accepter la nouvelle conjoncture et s’y adapter; ce qu’il fut le premier à faire en refusant de se présenter pour un second mandat présidentiel et en encourageant la prise de pouvoir par les plus jeunes. Aujourd’hui, des actions concrètes existent pour perpétuer le combat de Mandela, comme ces initiatives citoyennes encouragées lors du Mandela Day.